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Histoire - Grippe espagnole en France

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  • Histoire - Grippe espagnole en France

    ce doc est un peu long, mais essayez de le lire, en vous imaginant les conditions de l'epoque
    je fus litteralement sid?r?e, pour plusieurs motifs
    c'est ce que j'ai lu de plus complet jusqu'a present
    se degage l'id?e des 3 doc que j'ai post? ici, qu'une surinfection a pneumocoque fut cause d'un certain nombre de morts,
    la pneumonie a pneumocoque se soigne par antibiotiques assez courants.


    L'Histoire N? 281



    La grippe espagnole submerge la France

    Pierre Darmon, directeur de recherches au CNRS

    En avril 1918, dans une France en guerre, une nouvelle menace se profile ? l?horizon : une ?pid?mie de grippe qui, bient?t, va tout submerger. Comment les Fran?ais ont-ils v?cu cette trag?die dans la trag?die ? Les archives permettent de suivre l??volution d?un fl?au qui, avec l?irruption de la pneumonie atypique et de la grippe aviaire, semble n?avoir rien perdu de son actualit?.

    En f?vrier 1916, un m?decin-major, le Dr Carnot, observait ? Marseille une ? ?pid?mie sp?ciale de pneumococcie ? ayant ? ?clat? chez les travailleurs annamites avec une gravit? consid?rable ? (1). Comment, en pleine h?catombe par le feu, aurait-on pu se douter que cette sorte de pneumonie atypique, bient?t aiguillonn?e par la grippe dite ? espagnole ?, allait concurrencer la guerre dans ses funestes effets !
    Si Carnot ne donnait aucune pr?cision chiffr?e sur la mortalit? qui s?ensuivait, il pr?cisait que, dans certains centres hospitaliers, elle s??tait ?lev?e ? 50 %. Au fil des mois, le pneumocoque des Annamites allait conqu?rir la place par infiltration lente.
    Dijon, novembre 1916 : 39 Annamites sont touch?s par une pneumonie identique. Trois d?entre eux d?c?dent.
    Nice, f?vrier 1917 : le m?decin-major Labb? est intrigu? par la fr?quence des pneumonies observ?es ? chez les sujets de couleur (Alg?riens, Martiniquais, Indochinois) ? et ? qui affectent la forme de broncho-pneumonie, de bronchite, de congestion pulmonaire avec parfois des pleur?sies purulentes ?.
    Chartres, avril 1918 : le m?decin-major Ribierre signale 27 cas de pneumonie chez des Annamites r?cemment arriv?s.
    La ? pneumonie des Annamites ? n?inqui?te pas outre mesure les m?decins militaires. Ne s?agit-il pas d?un mal exotique ?tranger ? la race blanche ? Certitude exprim?e ? travers quelques formules peu charitables. ? Ces Annamites r?agissent comme des enfants ou des animaux sensibles ?, ?crit le Dr Ribadeau-Dumas.

    ? Une pathologie tr?s diff?rente de la n?tre ?

    Le Dr Carnot ajoute : ? Cette septic?mie se comporte, chez les Annamites, comme chez les animaux de laboratoires, lapins et souris. ? Le Dr Labb? en conclut dans son rapport de f?vrier 1917 : ? Il y a l? une pathologie tr?s diff?rente de la n?tre. D?ailleurs, quand on visite les h?pitaux des malades de couleur, on a parfois l?impression d??tre en pr?sence d?infections nouvelles inconnues aux hommes de nos climats et que les m?decins instruits des maladies tropicales ne connaissent m?me pas. ?
    Or les sympt?mes de la ? pneumonie des Annamites ? pr?figurent point par point ceux des foudroyantes complications broncho-pulmonaires de la grippe espagnole si l?on suit la description qu?en donne le Dr Ribadeau-Dumas : ? D?but brusque, parfois violent, ascension rapide du thermom?tre pouvant d?passer 40 ?C, c?phal?es, [?] signe de bronchite des sommets, r?les, expectorations rares mais constitu?es de pus. [?] Temp?rature ?lev?e avec d?fervescence [diminution de la fi?vre] brusque. Quantit? de pneumocoques ? l??tat pur. Il s?agit bien d?une pneumonie. ?
    Le ? pneumocoque ? des Annamites n?est certes pas forc?ment import? par les coloniaux. C?est un germe d?origine inconnue, mais d?une extr?me virulence. Il pr?pare son terrain en s?attaquant aux sujets qui, ?trangers ? nos climats et ? nos pathologies, et vivant dans la promiscuit?, sont mal prot?g?s. Au demeurant, ? partir de 1917, il n??pargne pas m?me certains Europ?ens.
    Or, ? partir du mois d?avril 1918, voil? que l?affaire tourne au cauchemar avec l?arriv?e d?un nouvel invit? : la grippe. C?est en effet la conjonction de deux facteurs qui va conf?rer sa gravit? au fl?au : d?une part le virus de la grippe, d?autre part un pneumocoque ou tout autre bact?rie pathog?ne responsable d?un syndrome respiratoire aigu. Le premier affaiblit le malade, creusant le g?te d?o? le second essaimera pour l?abattre (2).
    D?s le mois d?avril 1918, un peu partout dans le monde, sont signal?s les premiers cas de grippe, plus tard appel?e ? espagnole ? par r?f?rence ? l??pid?mie de grippe qui, en 1889, avait fait 200 000 morts en Espagne. En France, ils auraient ?t? signal?s dans les tranch?es, ? Villers-sur-Coudun, entre le 10 et le 20 avril 1918. De l?, l??pid?mie se r?pand ? travers la France enti?re. Mais, dans sa b?nignit? relative, elle n?est que la r?p?tition g?n?rale de la grande ?pid?mie qui, ? partir de septembre, fauchera les individus par centaines de milliers.

    Indiff?rence quasi-g?n?rale

    Sa foudroyante diffusion frappe pourtant les observateurs. Tous les rapports de m?decins-majors le signalent : ? L??pid?mie a ?clat?, brusque et massive? ? ; ou ? son extension a ?t? massive mais son ?volution , br?ve et b?nigne ?. Les ? indig?nes ?, l? encore, en sont les premi?res victimes. A la r?serve automobile du grand quartier g?n?ral, entre le 1er et le 12 mai, 28 Europ?ens sur 89 (soit 31 %) contractent la grippe, qui s?attaque ? 1 088 Indochinois sur 1 399 (soit 78 %). Pareille morbidit? est attribu?e ? aux fra?cheurs tardives et ? la d?plorable habitude des Indochinois de cracher ? terre ? (3).
    Raison plus vraisemblable : la promiscuit? dans laquelle ils vivent. Ces malheureux, confesse le rapporteur, sont ? resserr?s au nombre de 1 350 dans un espace ?troit et dorment coll?s ? plusieurs sur la m?me couchette. Chaque baraque en re?oit 150 ? 200 et le manque d?air y est manifeste ?.
    D?Espagne parviennent en outre des renseignements alarmants. Selon une lettre adress?e le 10 juin 1918 de Madrid par le pasteurien Chantemesse au secr?taire d??tat du Service de sant? Justin Godard, la grippe aurait frapp? 70 % des Madril?nes en l?espace de trois jours. Le 30 mai, l?ambassadeur de France ? Madrid avait inform? Paris que 70 % du personnel de l?ambassade ?tait alit? et que les affaires courantes ?taient suspendues sur l??tendue de la p?ninsule Ib?rique. Qu?en sera-t-il lorsque surviendront les fra?cheurs ? Aussi Chantemesse et l?ambassadeur recommandent-ils la mise en place de mesures prophylactiques destin?es ? prot?ger les arm?es du fl?au.
    Il s?agit donc bien d?une pand?mie qui, en juillet, semble d?ailleurs en voie d?extinction. Mais, comme le signale l?historienne Sophie Delaporte, ? alors que l?on constate une diminution du nombre total de gripp?s, il s?av?re que les cas dits ?compliqu?s? occupent une part croissante, ce qui semble signifier une modification de la nature de l??pid?mie, qui tend, dans ces r?gions, ? s?aggraver ? (4).
    Tranquillement, le mal poursuit son chemin dans une indiff?rence ? peu pr?s g?n?rale. Le 6 juillet 1918, les lecteurs du Matin peuvent m?me se r?jouir car cette grippe est le nouvel alli? des Fran?ais : ? En France, affirme le chroniqueur, elle est b?nigne ; nos troupes, en particulier, y r?sistent merveilleusement. Mais de l?autre c?t? du front, les Boches semblent tr?s touch?s. Est-ce le sympt?me pr?curseur de la lassitude, de la d?faillance des organismes dont la r?sistance s??puise ? Quoi qu?il en soit, la grippe s?vit en Allemagne avec intensit?. ?
    A cette date, la grippe est donc le dernier souci des Fran?ais. Au demeurant, qu?en sait-on ? Peu de chose, la presse faisant surtout r?f?rence aux premi?res manifestations de la pand?mie ? l??tranger : ? A Londres, lit-on dans Le Matin du 4 juillet, un m?decin qui avait 52 malades jeudi dernier en avait hier 184. Dix pour cent du personnel des grands magasins sont absents. A Dudley, 4 000 enfants sont atteints et toutes les ?coles sont ferm?es. A Manchester, 70 tramways ne circulent pas par suite de l?absence de 300 conducteurs et watt. A Berlin, les registres du bureau d?assurances contre la maladie montrent qu?en quinze jours le nombre des malades a augment? de 18 000? ?

    La maladie d?fie tout pronostic

    Rien de plus banal, en somme ! En ces temps calamiteux, les Fran?ais n?ont-ils pas d?autres sujets d?inqui?tude ? Pr?s de deux mois plus tard, Le Matin du 31 ao?t 1918 consacre toujours quelques entrefilets ? ? cette petite ?pid?mie ?. Mais, pour la premi?re fois, il fait ?tat de morts : ? Gannat, 30 ao?t : on signale qu?au village de Santes, commune d??chassi?re, vingt personnes sur une quarantaine formant la population ont ?t? malades en m?me temps de la grippe espagnole. Quatre sont mortes. ?
    En r?alit?, durant le seul mois d?ao?t, 65 gripp?s viennent de d?c?der dans la seule ville de Montpellier et les m?decins pressentent d?j? l??tendue du fl?au car cette grippe ? espagnole ? entra?ne d?sormais un chapelet de complications nouvelles : troubles cardiaques, ?d?me pulmonaire, cyanose, etc.
    Tous les ?l?ments de l?explosion sont en place : terrain labour? par une premi?re vague de grippe et ensemenc? de pneumocoques, exaltation de leur virulence par passage d?un organisme ? l?autre. Dans plusieurs r?gions, la mortalit? a d?j? atteint son acm?. A Marseille, on recense, en juillet 1918, 356 grippes et 35 d?c?s, soit une mortalit? de 9,8 %. Celle-ci sera de 10,7 % en ao?t et de 8,3 % en septembre.
    C?est alors, au cours de l??t? 1918, que l?inqui?tude commence ? remuer les foules et que les journaux m?dicaux se saisissent de l?affaire. Il est vrai qu?au fil des archives surgissent d?inqui?tantes estimations. A Paris, le Bulletin hebdomadaire de statistiques municipales n?indique encore que 330 d?c?s grippaux pour le mois de septembre mais on en rel?ve plus de 2 000 dans l?arm?e.
    Partout le faci?s de la grippe et de ses complications pulmonaires s?impose dans sa version terrifiante. Les m?decins militaires en ont bross? un tableau pr?cis. La ? pneumonie des Annamites ? en est la version la plus courante : pouss?e f?brile aussi brutale que la chute de la fi?vre apr?s trois ? cinq jours, sympt?mes bronchiques puis pulmonaires, pneumonie s?v?re au bout de trois ? quatre jours dans 20 % des cas, ? expectoration non pas en gel?e d?abricot mais rouss?tre avec l?apparence de jus de pruneaux et un aspect mousseux en cas d??d?me pulmonaire ?.
    La maladie d?fie tout pronostic. Un cas qui, au premier jour, semblait b?nin, se transforme en cas grave avec ?volution fatale. ? On a laiss? un matin un pneumonique en bon ?tat avec un ou deux foyers de condensation et, le soir, on le retrouve dyspn?ique, inquiet, s?agitant dans son lit, avec les l?vres cyanos?es. L?homme devient bleu, baign? de sueurs profuses, commence ? r?ler et la mort survient ?, expose le Dr Weil, ?tabli ? Nantes.
    D?une marche parfois foudroyante, la complication ?d?mateuse ? alimente la fabulation populaire qui parle de sujets morts apr?s quelques heures de maladie, devenant noirs, de peste de chol?ra et qui veut qu?il s?agisse l? d?une maladie nouvelle ? (Dr Merklen, Morbihan et Finist?re). Le malade au bord de l?asphyxie devient la proie de ph?nom?nes nerveux : tremblements, insomnie, ? subd?lire ?, voire euphorie.

    La guerre facilite la diss?mination du fl?au

    L?accumulation de ces malades prostr?s, frapp?s de sid?ration, plong?s dans l?obscurit? respiratoire, le visage cyanos? d?une p?leur terreuse, offre un spectacle terrifiant que le m?decin-major Bertin, bas? dans le Nord, ne peut d?crire sans malaise : ? Quand on circule dans une salle de gripp?s, on est frapp? par l?aspect de ces malades, ? demi assis sur leur lit en d?cubitus lat?ral [allong?s sur le c?t?], ? la respiration br?ve et p?nible qui montre d?j? l?intervention des muscles respiratoires accessoires. Ici, on n?observe plus le faci?s rouge du d?but mais un teint plomb?. Le regard inquiet semble dire la crainte d?une asphyxie pulmonaire. Bient?t, c?est une pluie de r?les sur toute la surface pulmonaire. C?est la forme ?d?mateuse o? le malade crache une mousse blanche parfois sanguinolente. Puis survient l?asphyxie. ?
    Les m?decins se sont pench?s sur l?origine de l??pid?mie, sur la p?riode d?incubation et sur son mode de diffusion. Leurs conclusions sont parfois surprenantes. Les causes sont banales. On incrimine les circonstances m?t?orologiques, la fra?cheur succ?dant ? la canicule et les germes en suspension dans l?air.
    Plus ?tonnante est l??ph?m?re p?riode d?incubation. Un officier bless? entre ? l?h?pital de Tours o? ?clate la grippe qu?il a contract?e au front. Sa femme vient le voir ? 2 heures de l?apr?s-midi. Quatre heures plus tard, elle pr?sente les premiers sympt?mes du mal et, ? 8 heures du soir, c?est au tour des officiers de la salle d??tre atteints ? quelques minutes d?intervalle. Cette simultan?it? est courante. Le m?decin-major Boidin a observ? seize artilleurs qui, dans le m?me abri, furent saisis au m?me instant d?un violent acc?s grippal, et, dans la Revue moderne de m?decine et de chirurgie, il est fait mention d?une petite ville de province o? 60 habitants tomb?rent malades la m?me nuit.
    La densit? des germes est donc extr?me et leur pouvoir de diffusion fabuleux puisqu?une famille nich?e sur une cr?te alpine de 1 170 m?tres d?altitude n?a pas m?me ?t? ?pargn?e. Le ph?nom?ne est aggrav? par les mouvements de troupes et de permissionnaires.
    La guerre ne se contente pas de faciliter la diss?mination du fl?au. Elle fait des soldats au front des victimes toutes trouv?es pour l??pid?mie. Selon une statistique du service technique de l?arm?e, la grippe touche 230 000 soldats de septembre ? novembre 1918. Une pol?mique s?ensuit entre les m?decins de l?avant et ceux de l?arri?re. Les premiers s?empressent, avec raison, d??vacuer les gripp?s vers l?arri?re pour ?tre en mesure de faire face, en fonction des op?rations militaires, ? des afflux massifs et impromptus de bless?s. Mais les seconds ont, eux aussi, de bonnes raisons de d?noncer les conditions de transport, fatales ? un grand nombre de gripp?s.
    Le facteur d?aggravation le plus ?prouvant concerne les gaz?s. Si la promiscuit? exacerbe la contagion, la cohabitation in?vitable des gripp?s et des gaz?s con****e ces derniers ? mort, m?me s?ils n?ont ?t? que faiblement intoxiqu?s. D?s le mois de juillet 1918, le m?decin-major Chiray sonne l?alerte : dans son service du Mans, les gaz?s ont tous succomb? ? une pneumonie mortelle. En ao?t, nouvelle trag?die. Un train sanitaire d?pose ? Ch?teauroux une centaine de gaz?s b?nins. Pour les pneumocoques, c?est la bonne aubaine. Au bout de quelques jours, note le Dr Turlais, la foudre grippale et pulmonaire s?abat sur eux : ? Une pluie de r?les congestifs envahit les poumons. Le regard est inquiet, la face se cyanose. Pouls rapide, faiblesse cardiaque. Les malades devant ?voluer vers un d?nouement fatal d?lirent, la cyanose augmente et la mort survient. ?
    En 1918, la grippe espagnole surgit au milieu d?un ?puisement g?n?ral. De surcro?t, les Alli?s ont entam? leur offensive victorieuse, et c?est en cet instant d?esp?rance que l?intruse semble devoir prendre le relais du feu et du fer.

    Enterrements de nuit

    Dans le public, un imaginaire prend corps. On parle de ? peste pulmonaire ? apport?e par des voyageurs venus d?Orient, de dengue, de suette miliaire. On chuchote, sans le comprendre, un mot ? la mode : ? spiroch?te grippal ? (5). On incrimine les moustiques ou les bo?tes de conserves venues d?Espagne et empoisonn?es par les Allemands. ? Le bruit court, disent les rapports des inspecteurs de la ? brigade sp?ciale ? adress?s au pr?fet de police de Paris le 20 septembre 1918, que d?apr?s les m?decins militaires, l??pid?mie de grippe dite ?espagnole? aurait pour origine la consommation de conserves alimentaires de provenance espagnole et dans lesquelles auraient ?t? introduits des bacilles. On dit aussi que de nombreuses fabriques de conserves sont entre les mains d?Allemands. On pr?tend que les oranges ont aussi subi des injections de m?me nature. ?
    Dans une lettre caviard?e, un poilu ?voque une rumeur r?pandue ? Toulon et selon laquelle le fl?au aurait pour origine un ? vaccin empoisonn? fourni par les Boches ?.
    Sur les modes de contamination circulent de folles rumeurs. Dans une petite commune de Corse, un homme meurt de la grippe mais on attend un proche parent pour l?enterrer. A son arriv?e, on ouvre le cercueil et toute la famille se pr?cipite sur la d?pouille pour l?embrasser. Neuf personnes contractent ainsi la grippe et meurent. Le jour m?me ont lieu les obs?ques. Dans l??glise o? s?est d?roul?e la c?r?monie fun?bre, les fid?les se rendent en masse pour assister aux offices religieux. Deux ou trois jours plus tard, 600 personnes, sur une population de 1 100 habitants, contractent une pneumonie. Bilan : 54 d?c?s. R?miniscence de la th?orie miasmatique, la rumeur voudra que, sur le parcours du convoi fun?bre, se soient d?gag?es les ?manations putrides qui ont empoisonn? la ville.
    La vie du pays est boulevers?e. Dans les campagnes, les malades sont ? l?abandon. Dans les fermes perdues de la lande bretonne, le b?tail ne peut plus sortir ? moins qu?un voisin ne s?en occupe. Des localit?s sont interdites aux permissionnaires, ce qui attise le m?contentement de l?arm?e. Plus heureux, des soldats qui y s?journent n?ont pas le droit de regagner le front.
    A Paris, les rapports des inspecteurs de la Pr?fecture de police se font l??cho d?une anxi?t? grandissante. Et pour cause. Alors que la grippe ne tuait dans la capitale que 64 personnes dans la semaine du 15 au 21 septembre, le Bulletin hebdomadaire de statistique municipale, relay? par les grands quotidiens, en annonce 616 dans la semaine du 6 au 12 octobre. Dans les semaines qui suivent, des sommets de mortalit? sont atteints : 1 046, 1 473, 1 329?
    Pour la premi?re fois depuis ao?t 1914, les ?v?nements militaires passent au second plan dans les conversations. Certains fleuristes, dit-on, engagent du personnel de nuit pour la confection des couronnes. ? Ce fl?au, proclame une m?nag?re, est plus terrible que la guerre ou que les Berthas et les Gothas [les canons et les avions allemands qui bombardent Paris ]. ?
    En province, les ravages seraient encore plus s?v?res. A Lyon et ? Dijon, on enterrerait les cadavres de nuit pour ne pas impressionner les populations et il serait d?fendu de suivre les corbillards. En fait, s?il est vrai que les pompes fun?bres sont partout oblig?es de proc?der ? des enterrements nocturnes, ce n?est pas pour ?pargner les esprits mais faute de temps.
    Au Palais de justice de Paris, l?atmosph?re est ?trange. Toujours selon les rapports des inspecteurs au pr?fet de police, ? la 10e chambre correctionnelle, deux avocats proposent de remettre une affaire ? huitaine en raison de la longueur des d?bats, mais le pr?sident Masse s?y oppose en pr?textant : ? Avec l??pid?mie, le tribunal pourrait bien, dans huit jours, ne pas ?tre compos? de la m?me fa?on. ? Plusieurs avocats ont dissimul? des cache-nez sous leur robe et leurs traits tir?s indiquent ? qu?ils sont pass?s par l? ?.
    M?decins, pharmaciens, infirmiers et personnel hospitalier sont d?bord?s. Certains praticiens ont d? apposer ? leur porte une affichette indiquant qu?il leur ?tait impossible de visiter de nouveaux patients. Quant aux h?pitaux, ils refusent les malades et l?Assistance publique doit rappeler qu?un gripp? est souvent mieux soign? chez lui.

    Du masque ? gaz au masque de gaze

    Les pharmacies sont prises d?assaut, des files d?attente se forment devant les comptoirs des herboristes, des droguistes. Il faut pi?tiner plus d?une heure pour se faire servir et la confection des ordonnances demande un d?lai de vingt-quatre heures. La quinine, l?huile de ricin, le formol, l?aspirine et le rhum, qui fait l?objet d?une scandaleuse sp?culation, sont en rupture de stock. Le 16 octobre 1918, Le Matin annonce une grande victoire : ? Les 500 hectolitres de rhum mis ? la disposition de la ville de Paris sont arriv?s. Ils seront vendus sur ordonnance par l?entremise des pharmaciens. ?
    C?est dans ces circonstances qu??clate l?affaire du Petit Parisien. Le 26 octobre, ce grand quotidien provoque une ru?e encore plus spectaculaire chez les pharmaciens en divulguant la formule d?un ? traitement qui a fait ses preuves ?. Sa confection ne comporte pas moins de treize ?tapes et un nombre faramineux d?ingr?dients : aspirine, citrate de caf?ine, cryag?mine Lumi?re, benzoate de soude, terpine? Et comme Le Petit Parisien se veut scientifique, ses lecteurs se pr?sentent chez leur pharmacien pour lui demander de l?ac?tate d?Az H2, du S04 Mg et du S04 Na? En tout une vingtaine de produits auxquels s?ajoutent des tisanes d?orge, de chiendent, de queues de cerises. M?decins et pharmaciens protestent et s??tonnent que la censure ait laiss? filtr? pareil article, d?autant que le co?t de la panac?e, qui s??l?ve ? 45 F, correspond pour un ouvrier au salaire de quatre ou cinq journ?es de travail.
    En fait, la m?decine officielle est d?sarm?e. Dans les h?pitaux civils et militaires, la m?dication ? base d?antiseptiques et de tonicardiaques est violente et peu efficace : injection d?or collo?dal et d?Electrargol en piq?res intraveineuses et en lavements, administration de toniques (digitalite, spart?ine, huile camphr?e, strychnine?). Quelques m?decins iront m?me jusqu?? pratiquer, ? la suite d?informations publi?es dans les quotidiens et dans la presse sp?cialis?e, des injections d?essence de t?r?benthine, prescription dont on dit qu?elle aurait ?t? couronn?e de succ?s en Suisse. La saign?e a aussi ses partisans.
    La plupart des praticiens restent ? juste titre sceptiques. Aussi les espoirs se reportent-ils sur les vaccins et les s?rums qui, depuis les travaux de Pasteur et de Roux, jouissent d?un immense prestige. Avant l??pid?mie, l?Institut Pasteur avait mis au point un s?rum antipneumococcique polyvalent d?une inefficacit? av?r?e. Certains m?decins n?en croient pas moins obtenir de bons r?sultats en l?administrant ? titre pr?ventif ? toute personne hospitalis?e. Un peu partout dans le monde, de miraculeux vaccins ou s?rums voient le jour.
    La prophylaxie offre d?autres morceaux de bravoure. En premier lieu, les m?decins rendent un culte au masque protecteur. Celui-ci limite la diffusion des germes, mais la protection qu?il assure est toute platonique. Il faut dire que le masque est entr? dans les m?urs et que l?on passe volontiers du masque ? gaz au masque de gaze. ? ?tre contre, ?crit le professeur Vincent, c?est le m?me pr?jug? absurde qui a entra?n? la mort de tant de combattants au d?but de la guerre barbare par les gaz toxiques ou asphyxiants invent?s par les Allemands. ? Le Dr Roux, directeur de l?Institut Pasteur, et l?Acad?mie de m?decine s?enthousiasment pour le masque.
    Pour plus d?efficacit?, celui-ci doit ?tre impr?gn? d?antiseptiques (eucalyptol, baume du P?rou, t?r?benthine). A d?faut, ?crit un m?decin dans Le Matin, ? une simple compresse hydrophile tremp?e dans l?eau bouillie, pos?e sur le nez et la bouche et attach?e par-dessus les oreilles avec un cordonnet, fera l?affaire ?. L?Acad?mie de m?decine, moins pl?b?ienne, recommande de se couvrir le visage et de recouvrir le berceau des enfants d?un double voile de tarlatane imbib? d?un liquide antiseptique.
    Dans les journaux, les conseils abondent. A titre pr?ventif, se soumettre ? des fumigations d?essence d?anis, de girofle, d?eucalyptus, de menthol, de camphre (The Lancet). ? Se brosser les dents et passer dans les interstices un fil que l?on fera glisser par un mouvement de va-et-vient. Rin?age de la bouche ? l?eau fra?che ? (Bulletin de l?Acad?mie de m?decine). Se gargariser matin et soir avec une solution antiseptique, eau oxyg?n?e ou eau dentifrice (Le Matin).

    Lacunes statistiques

    A la prophylaxie individuelle s?ajoute la prophylaxie sociale, plus difficile ? imposer. Dans certaines villes de province, les ?coles ferment, et, ? Montpellier, o? 65 gripp?s d?c?dent d?s le mois d?ao?t, le plancher des salles de spectacles est nettoy? au Cr?syl (un antiseptique m?nager) et des ventilateurs y sont mis en action, comme au bon temps des miasmes. Rien de tel pour soulever virus et pneumocoques !
    Malgr? tout, les salles de spectacles restent ouvertes dans les plus grandes villes et les passagers voyagent librement dans les trains. Tel n?est pas le cas en Suisse, o? ?coles, cin?mas, th??tres et r?unions sportives sont interdits. Les voyages sont eux-m?mes contr?l?s. Une ? carte de l?gitimation ? est n?cessaire pour prendre le chemin de fer. Deux m?decins portant brassard sont du voyage. Interdiction de quitter le train ou d?y entrer en cours de route. Les vivres seront distribu?s aux voyageurs par les fen?tres.
    En France, les militaires exhument de leurs cartons une circulaire dat?e de mars 1895 concernant les ? mesures ? prendre en temps d??pid?mie de chol?ra, de grippe, de peste et typhus ?. Une fois polycopi?, le document est adress? le 28 ao?t, en pleine canicule, ? tous les g?n?raux : ? Les exercices auront lieu dans des endroits clos et couverts (man?ges, magasins, halles). Les troupes ? cheval devront avoir un manteau [sic] ; dans l?infanterie, la veste sera toujours port?e sous 1 [sic] capote? Le combustible sera fourni par le corps. ?
    Plusieurs semaines durant, les quotidiens ont fait r?f?rence ? l?influenza de 1890. Il s?agissait de remonter le moral du public en ?voquant ce pr?c?dent qui, dans ses d?buts, avait ?t? plus meurtrier. Alors que l??pid?mie n??tait apparue que depuis un mois, l?influenza avait entra?n? la mort de 960 Parisiens en une semaine (premi?re semaine de janvier 1890) alors qu?au bout de neuf semaines le cru nouveau n?en tuait que 616 (premi?re semaine d?octobre 1918). La conjoncture, pourtant, ?tait sur le point de se renverser.
    Le terme de ? grippe ? n?appara?t pas dans les statistiques de 1890, le bilan de l??pid?mie ayant ?t? calcul? sur la base de ? l?exc?dent de mortalit? d? aux bronchites aigu?s, bronchites chroniques, pneumonies et broncho-pneumonies r?unies ?. Ces complications grippales avaient alors caus? la mort de pr?s d?une centaine de milliers de Fran?ais.
    La grippe espagnole devait faire mieux. Pour l?ann?e 1918, la Statistique sanitaire de la France indique un total de 91 565 d?c?s grippaux pour 36 637 000 habitants (recensement de 1911). En r?alit?, ce bilan ignore une large fraction de la population : 6 000 000 de militaires d?pendent du Service de sant? des arm?es, ?chappant ainsi aux comptes de l?administration pr?fectorale ; neuf d?partements, occup?s ou situ?s sur la ligne de feu et peupl?s de 5 900 635 habitants, sont ignor?s, eux aussi, par les statistiques ; ? quoi s?ajoutent les d?partements qui, en raison du manque de personnel, se trouvent dans l?impossibilit? de fournir des ?tats.
    Au total, les lacunes portent sur pr?s de 14 800 000 administr?s (dont 8 786 186 civils). C?est donc sur moins de 22 000 000 de Fran?ais que portent les 91 565 d?c?s grippaux signal?s par la Statistique sanitaire de la France pour l?ann?e 1918, ce qui donne 1 d?c?s pour 240 individus et 42 d?c?s pour 10 000 habitants. On peut en d?duire que, chez les 8 786 186 civils non comptabilis?s, la mortalit? grippale pour 1918 aura ?t? voisine de 36 500 d?c?s. Au total, 128 000 civils auraient donc ?t? victimes de l??pid?mie.
    Pour l?ann?e 1919, la Statistique g?n?rale de la France publi?e en 1925 estime ? 36 018 le nombre des d?c?s grippaux survenus durant les trois premiers mois de l?ann?e (estimation minimale, une trentaine de d?partements ayant fourni des renseignements incomplets). A quoi s?ajoutent 16 500 d?c?s r?pertori?s en 1919 sous la rubrique ? pneumonie grippale ?.
    Quant au service de sant? de l?arm?e, il enregistre un total de 30 382 d?c?s grippaux pour 402 000 cas.
    De tous ces chiffres, il est aujourd?hui possible de conclure que l??pid?mie de grippe espagnole a fait en France 210 900 victimes, avec deux pics : le premier en octobre 1918 et le second en f?vrier-mars 1919. Au mois de mai 1919, la mortalit? est devenue n?gligeable. Mais l??pid?mie survivra longtemps dans les m?moires.
    P.D.

    NOTES
    1. Les archives du Val-de-Gr?ce nous permettent de suivre l??volution de la grippe espagnole dans chacune des 19 r?gions militaires. Les m?decins-majors ont consign? des faits que les m?decins civils n?avaient pas l?occasion de signaler.
    2. La grippe se manifeste par une pouss?e f?brile plus ou moins violente de quarante-huit heures qui ne pr?sente de r?el danger que pour les personnes ?g?es ou val?tudinaires. En fait, ce sont les complications grippales (pneumonie, broncho-pneumonie ou bronchite) qui, dans un organisme affaibli, sont les plus redoutables.
    3. La morbidit? d?signe la proportion de malades par rapport ? la population saine.
    4. S. Delaporte, cf. Pour en savoir plus.
    5. La dengue est la grippe des Tropiques. La suette militaire, une maladie aujourd?hui disparue caract?ris?e par une ?ruption cutan?e en forme de grain de mil. Le ? spiroch?te grippal ? d?signe ce que l?on croyait ?tre, ? la fin du XIXe si?cle, le bacille de la grippe.
    Last edited by Anne; August 13, 2006, 02:06 PM.
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