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Une majorit? de tortionnaires ordinaires

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    ? Le Jeu de la mort ? mercredi sur France 2


    Une majorit? de tortionnaires ordinaires

    Selon un remake de la c?l?bre exp?rience de Milgram, une ?mission de divertissement transforme ses candidats en tortionnaires ordinaires : sous l?emprise du pouvoir t?l?visuel, 81 % d?entre eux acceptent d?infliger des d?charges ?lectriques allant crescendo de 80 ? 460 volts. Un documentaire ? faire dresser les cheveux sur la t?te du t?l?spectateur.

    DANS LE SILLAGE des ?missions de t?l?r?alit? qui se disputent les faveurs de l?Audimat en infligeant ? leurs candidats toutes sortes de s?vices, de l?exclusion ? l?humiliation, en passant par l?obsc?nit?, voici, mercredi en premi?re partie de soir?e, sur France 2, ? La zone Xtr?me. ? La r?gle du jeu est calqu?e sur celle de l?exp?rience de Milgram, la t?l? en plus : un premier candidat, Jean-Paul, qui est en fait un com?dien, est soumis ? une batterie de questions ; sur le plateau, en pr?sence de l?animatrice Tania Young et devant un public tr?s remuant (une centaine de volontaires recrut?s par une soci?t? sp?cialis?e), un autre candidat lui applique une ? punition ? en cas de r?ponse erron?e : une d?charge ?lectrique qui commence par ? 80 volts et qui, par paliers successifs, monte en puissance jusqu?? atteindre 460 volts*.

    Dans le r?le des questionneurs-punisseurs, la production a s?lectionn? 80 candidats issus des classes moyennes, des bac - 2 ? bac +3, en bonne sant?, hommes et femmes, appartenant ? diverses cat?gories d??ge. Non pas un panel repr?sentatif de la population fran?aise, comme dans un sondage, mais un ?chantillon ob?issant aux crit?res scientifiques de Milgram (voir encadr?), afin que les r?sultats puissent ?tre compar?s et ?ventuellement reproduits par la suite ? l?identique, dans une ou deux d?cennies. Chacun d?eux a ?t? re?u en compagnie de Jean-Paul par le producteur, qui lui a expliqu? ce qu?il attendait de lui : participer ? la mise au point d?un jeu, sans rien ? gagner (sinon une indemnit? de 40 euros). ? J?appuierai sur le bouton en cas d?erreur ?, acquiesce, l?un des candidats, ajoutant avec un sourire, ? Je suis le bourreau? C?est moi qui ai le beau r?le ! ?

    ? Laissez moi partir, ?a fait trop mal ! ?

    Huit cents heures de tournage ont ?t? effectu?es. Le faux candidat, Jean-Paul, enferm? dans une cellule capitonn?e pour que les questionneurs ne le voient pas, fait entendre sa douleur. Il pousse d?abord des plaintes contenues. ? 120 volts, il crie : ? ?a fait mal ! ?. ? 160 volts, ? ?a fait vraiment mal ! ?. ? 180 volts, il s??crie : ? Putain, j?arr?te, ?a me fait plus rire ?. ? partir de 200 volts, il hurle de douleur. ? 260 volts, il supplie : ? Arr?tez vos conneries, laissez moi partir, ?a fait trop mal ! ? ? partir de 300 volts, il ne r?pond plus et cesse de donner signe de vie.

    Sur le plateau, aid?e par le public, qui scande ? la demande ? Punition, punition ! ?, l?animatrice r?p?te ses injonctions : ? Ne vous laissez pas impressionner, c?est ? vous, continuez. La logique du jeu veut que vous continuiez. Nous assumons toutes les cons?quences? ?
    Dans le concept ?labor? pour l?exp?rience avec le concours de Jean-L?on Beauvois, chercheur en psychologie sociale, le candidat qui, ? la 5e injonction de Tania Young, r?it?re son refus de continuer, est consid?r? comme d?sob?issant. Et le jeu s?arr?te.
    Ce sera le cas pour neuf candidats qui mettront fin ? l?exp?rience entre 100 et 220 volts et sept autres qui l?interrompront entre 320 et 420 volts. Mais 81 % vont aller jusqu?au bout, contre 62 % lors de l?exp?rience de Milgram.

    ? Personne ne s?attendait ? un score aussi ?lev? ?, commente le producteur, Christophe Nick, ?voquant un score ?lectrochoc. Men?e en pr?sence de psychologues, le d?briefing compl?te le tableau : 70 % des questionneurs ont ri au moins une fois en entendant les cris de douleur de Jean-Paul. Les sp?cialistes notent que ce rire ex?cutoire est une manifestation incontr?lable qui permet au corps d??vacuer l?angoisse, ind?pendamment de la volont?. Dix-sept pour cent ont trich? (par l?inflexion de la voix, ils ont tent? d?orienter vers la bonne r?ponse), ce qui repr?sente une forme att?nu?e de d?sob?issance et contribue ? la d?culpabilisation des int?ress?s. Soixante-dix pour cent parlent tandis que Jean-Paul fait retentir ses cris de souffrance. ? C?est une parfaite illustration de leur "?tat agentique", estime Jean-L?on Bauvois, cet ?tat caract?ris? par l?ex?cution des ordres, quitte ? nier l??vidence pour ?liminer toute raison objective de r?sister au nom de ses valeurs personnelles. ?

    Parmi les 16 r?sistants qui se dressent contre l?emprise du pouvoir t?l?visuel, Monica explique que lui sont revenues des images des camps de concentration : ? C?est comme si, confie-t-elle, j?avais ?t? aux c?t?s des m?decins nazis pour actionner les manettes ?.
    Ces 16 rebelles sont des h?ros tr?s minoritaires, dans l?immorale morale de ce ? Jeu de la mort ?. ? tous les autres candidats, les producteurs et leurs conseillers psychologiques ont expliqu? qu?ils n??taient nullement en cause personnellement. Ils ne sont pas les bourreaux, mais les victimes de la redoutable emprise qu?exerce le syst?me t?l?visuel, avec les d?rives des cha?nes commerciales et la mercantilisation croissante des t?l?s priv?es. Somme toute des bourreaux normaux, Monsieur ou Madame Tout-le-monde joue ? la g?g?ne pour ob?ir ? la t?l?. ? On ne peut d?terminer la fronti?re entre r?sistance et soumission sur le plan du principe ?, avait ?crit dans sa prison Dietrich Bonhoeffer, lui-m?me r?sistant au nazisme ex?cut? ? Buchenwald en 1945. En regardant ? le Jeu de la mort ?, le t?l?spectateur d?couvrira avec effroi de quel c?t? de cette fronti?re il risque en effet de se situer, non pas en principe, mais en t?l?r?alit?.

    ? CHRISTIAN DELAHAYE



    Le Quotidien du M?decin du : 16/03/2010
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