Cette analyse ? saveur philosophique, bien que publi?e l'an dernier, est plus que jamais d'actualit?. L'auteur soul?ve l'argument que "seule une s?rie de valeurs morales partag?es est de nature ? pr?server une coh?sion sociale" en cas de pand?mie. Malheureusement, il est d?plorable de constater que peu d'efforts en ce sens sont actuellement d?ploy?s dans les pr?paratifs ? l'?chelle plan?taire...
ANALYSE: ?THIQUE ET GRIPPE AVIAIRE
par Jean-Yves Nau (Le Monde)
Publi? le 6 d?cembre 2005 ? Mis ? jour le 11 janvier 2006
Les grandes crises sanitaires ont un impact qui d?passe de beaucoup leur dimension m?dicale et scientifique. Celle de la grippe aviaire en fournit aujourd'hui une nouvelle et ?clairante d?monstration qui modifie le regard habituellement port? sur la grippe.
En d?pit d'un affaiblissement croissant des r?f?rences religieuses collectives dans les pays occidentaux, les trois pand?mies grippales meurtri?res du XXe si?cle avaient g?n?ralement ?t? per?ues comme l'expression d'une forme de fatalit?, un fl?au infectieux frappant une humanit? impuissante. L'?quivalent pand?mique qui ?mergera ? un moment ou ? un autre du XXIe si?cle sera immanquablement per?u d'une tout autre mani?re. La fatalit? ne sera plus alors d'actualit?, et l'on voudra imp?rativement comprendre pourquoi un mal tant annonc? n'aura pas pu ?tre pr?venu. Cette pand?mie sera pourtant bien, comme les pr?c?dentes, la simple et tragique cons?quence d'une succession de mutations g?n?tiques transformant un virus banal en un agent pathog?ne hautement virulent ayant acquis la capacit? d'infecter ais?ment l'organisme humain tout en devenant hautement contagieux au sein de notre esp?ce.
Pourquoi d?s lors s'attendre ? des r?actions ? ce point radicalement diff?rentes? Sans doute parce que l'on ne pourra plus, ? l'avenir, faire l'?conomie de la somme des progr?s accomplis dans le champ de la virologie fondamentale et de l'?pid?miologie, mais aussi de la vaccinologie et de la pharmacologie. Mais sans doute aussi parce qu'il faut d?sormais composer avec le recours de plus en plus fr?quent et multiforme qui est fait, du moins dans les soci?t?s occidentales, au concept du principe de pr?caution.
Ce principe est depuis peu omnipr?sent chez les responsables des organisations onusiennes charg?s des questions sanitaires, ? commencer par ceux de l'Organisation mondiale de la sant? (OMS). Depuis pr?s de deux ans, ils lancent de mani?re r?it?r?e des alertes ? la pand?mie grippale sans pour autant fournir des ?l?ments scientifiques document?s justifiant une telle attitude. Comme on pouvait ais?ment le pr?voir, ces diff?rentes alertes, m?diatiquement relay?es ? l'?chelon plan?taire, n'ont pas ?t? sans cons?quences. Elles ont pouss? quelques dizaines de pays industriels ? consacrer des sommes importantes ? ce risque et ? d?velopper des plans nationaux d?finissant les principaux chapitres de la lutte pr?ventive. Elles ont ?galement conduit ? prendre, une nouvelle fois, la mesure de ce qui s?pare le Sud du Nord, y compris lorsqu'il s'agit de menaces sanitaires. Parce qu'elles ignorent fronti?res et latitudes, elles devraient imposer les rapprochements des ?nergies et le partage des ressources.
Pour l'heure, l'espoir r?side dans la r?union internationale qui se tiendra mi-janvier ? P?kin et au cours de laquelle diff?rents bailleurs de fonds devraient, sous l'?gide de la Banque mondiale, r?unir 1 milliard de dollars pour soutenir l'action des pays asiatiques les plus touch?s par l'actuelle ?pizootie. Exp?rience aidant, tous les sp?cialistes v?t?rinaires, ceux de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) comme ceux de l'Organisation mondiale de la sant? animale (OIE), expliquent que la mise en oeuvre syst?matique de quelques mesures sanitaires permettrait, ? terme, d'?radiquer le virus H5N1. Il s'agit ici d'abattre toutes les volailles des foyers ?pizootiques et, si cette mesure ne suffit pas, de proc?der ? la vaccination g?n?ralis?e des oiseaux domestiques.
En pratique, la premi?re mesure ne peut effectivement ?tre mise en oeuvre que si les ?leveurs ont l'assurance de recevoir une compensation financi?re imm?diate, et la seconde suppose de pouvoir disposer d'une production vaccinale industrielle de qualit? et de la main-d'?uvre n?cessaire pour une t?che d'envergure. Pour les responsables de l'OIE, l'utilisation judicieuse du milliard de dollars ? venir devrait permettre d'agir efficacement et ainsi de fournir une solution ? ce probl?me d'ordre ?thique qui voyait jusqu'? pr?sent le Nord d?penser sans compter pour se prot?ger contre un risque qui, ? moindre co?t, peut ?tre ?touff? chez l'animal.
Pr?server une coh?sion sociale
Mais, d'ores et d?j?, d'autres questions d'ordre moral se posent, comme vient de l'exposer un groupe de chercheurs canadiens du centre de bio?thique de l'universit? de Toronto. Ils font valoir que les plans nationaux de lutte contre une future pand?mie de grippe devraient imp?rativement int?grer une dimension ?thique aujourd'hui absente alors m?me qu'elle est indispensable ? la poursuite de la vie en collectivit?. Ces chercheurs nourrissent leur r?flexion de leur r?cente exp?rience de l'?pid?mie de SRAS (syndrome respiratoire aigu s?v?re), qui avait fait 44 morts, en 2003, ? Toronto. Ils expliquent avoir, ? cette occasion, r?alis? que, face ? une maladie contagieuse et potentiellement mortelle, "seule une s?rie de valeurs morales partag?es" est de nature ? pr?server une coh?sion sociale.
Ils estiment aussi que les mesures "justes et ?quitables" devraient ?tre publiquement discut?es et clairement affich?es. A elle seule une question r?sume la somme des difficult?s ? venir: en cas de pand?mie, comment seront distribu?s et utilis?s les m?dicaments antiviraux stock?s ? grand prix dans une cinquantaine de pays occidentaux? ? qui seront prioritairement destin?es les millions de doses de Tamiflu et de Relenza achet?es aux multinationales pharmaceutiques Roche et ? GlaxoSmithKline? Aux personnes ayant d?j? contract? l'infection? Ou, ? titre pr?ventif, aux personnes dont l'activit? est essentielle ? la survie de la collectivit??
En France ? pays qui, selon l'OMS, s'est dot? de l'un des meilleurs programmes de lutte pr?ventive ?, les autorit?s sanitaires peinent ? r?pondre. Dans le dernier num?ro de La Revue du praticien, ces m?mes autorit?s incitent les professionnels de sant? ? s'?quiper, d?s maintenant, du mat?riel n?cessaire (masques pour eux et leurs patients, lunettes de protection) et pr?viennent que, en cas de pand?mie, ils seront "amen?s ? prendre en charge, pendant douze semaines, plusieurs millions de malades dans des conditions difficiles".
Les chercheurs de Toronto font, quant ? eux, valoir que les m?decins, les infirmi?res et les autres personnels soignants ne pourront se consacrer ? leur t?che que s'ils ont l'assurance de pouvoir, le moment venu, disposer des meilleures mesures de protection mais aussi de b?n?ficier d'un syst?me d'assurance-vie sp?cifique pour leurs familles. Si cette exigence ?thique n'?tait pas remplie, le bilan de l'?ventuelle catastrophe sanitaire n'en serait que plus effroyable.
Source
ANALYSE: ?THIQUE ET GRIPPE AVIAIRE
par Jean-Yves Nau (Le Monde)
Publi? le 6 d?cembre 2005 ? Mis ? jour le 11 janvier 2006
Les grandes crises sanitaires ont un impact qui d?passe de beaucoup leur dimension m?dicale et scientifique. Celle de la grippe aviaire en fournit aujourd'hui une nouvelle et ?clairante d?monstration qui modifie le regard habituellement port? sur la grippe.
En d?pit d'un affaiblissement croissant des r?f?rences religieuses collectives dans les pays occidentaux, les trois pand?mies grippales meurtri?res du XXe si?cle avaient g?n?ralement ?t? per?ues comme l'expression d'une forme de fatalit?, un fl?au infectieux frappant une humanit? impuissante. L'?quivalent pand?mique qui ?mergera ? un moment ou ? un autre du XXIe si?cle sera immanquablement per?u d'une tout autre mani?re. La fatalit? ne sera plus alors d'actualit?, et l'on voudra imp?rativement comprendre pourquoi un mal tant annonc? n'aura pas pu ?tre pr?venu. Cette pand?mie sera pourtant bien, comme les pr?c?dentes, la simple et tragique cons?quence d'une succession de mutations g?n?tiques transformant un virus banal en un agent pathog?ne hautement virulent ayant acquis la capacit? d'infecter ais?ment l'organisme humain tout en devenant hautement contagieux au sein de notre esp?ce.
Pourquoi d?s lors s'attendre ? des r?actions ? ce point radicalement diff?rentes? Sans doute parce que l'on ne pourra plus, ? l'avenir, faire l'?conomie de la somme des progr?s accomplis dans le champ de la virologie fondamentale et de l'?pid?miologie, mais aussi de la vaccinologie et de la pharmacologie. Mais sans doute aussi parce qu'il faut d?sormais composer avec le recours de plus en plus fr?quent et multiforme qui est fait, du moins dans les soci?t?s occidentales, au concept du principe de pr?caution.
Ce principe est depuis peu omnipr?sent chez les responsables des organisations onusiennes charg?s des questions sanitaires, ? commencer par ceux de l'Organisation mondiale de la sant? (OMS). Depuis pr?s de deux ans, ils lancent de mani?re r?it?r?e des alertes ? la pand?mie grippale sans pour autant fournir des ?l?ments scientifiques document?s justifiant une telle attitude. Comme on pouvait ais?ment le pr?voir, ces diff?rentes alertes, m?diatiquement relay?es ? l'?chelon plan?taire, n'ont pas ?t? sans cons?quences. Elles ont pouss? quelques dizaines de pays industriels ? consacrer des sommes importantes ? ce risque et ? d?velopper des plans nationaux d?finissant les principaux chapitres de la lutte pr?ventive. Elles ont ?galement conduit ? prendre, une nouvelle fois, la mesure de ce qui s?pare le Sud du Nord, y compris lorsqu'il s'agit de menaces sanitaires. Parce qu'elles ignorent fronti?res et latitudes, elles devraient imposer les rapprochements des ?nergies et le partage des ressources.
Pour l'heure, l'espoir r?side dans la r?union internationale qui se tiendra mi-janvier ? P?kin et au cours de laquelle diff?rents bailleurs de fonds devraient, sous l'?gide de la Banque mondiale, r?unir 1 milliard de dollars pour soutenir l'action des pays asiatiques les plus touch?s par l'actuelle ?pizootie. Exp?rience aidant, tous les sp?cialistes v?t?rinaires, ceux de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) comme ceux de l'Organisation mondiale de la sant? animale (OIE), expliquent que la mise en oeuvre syst?matique de quelques mesures sanitaires permettrait, ? terme, d'?radiquer le virus H5N1. Il s'agit ici d'abattre toutes les volailles des foyers ?pizootiques et, si cette mesure ne suffit pas, de proc?der ? la vaccination g?n?ralis?e des oiseaux domestiques.
En pratique, la premi?re mesure ne peut effectivement ?tre mise en oeuvre que si les ?leveurs ont l'assurance de recevoir une compensation financi?re imm?diate, et la seconde suppose de pouvoir disposer d'une production vaccinale industrielle de qualit? et de la main-d'?uvre n?cessaire pour une t?che d'envergure. Pour les responsables de l'OIE, l'utilisation judicieuse du milliard de dollars ? venir devrait permettre d'agir efficacement et ainsi de fournir une solution ? ce probl?me d'ordre ?thique qui voyait jusqu'? pr?sent le Nord d?penser sans compter pour se prot?ger contre un risque qui, ? moindre co?t, peut ?tre ?touff? chez l'animal.
Pr?server une coh?sion sociale
Mais, d'ores et d?j?, d'autres questions d'ordre moral se posent, comme vient de l'exposer un groupe de chercheurs canadiens du centre de bio?thique de l'universit? de Toronto. Ils font valoir que les plans nationaux de lutte contre une future pand?mie de grippe devraient imp?rativement int?grer une dimension ?thique aujourd'hui absente alors m?me qu'elle est indispensable ? la poursuite de la vie en collectivit?. Ces chercheurs nourrissent leur r?flexion de leur r?cente exp?rience de l'?pid?mie de SRAS (syndrome respiratoire aigu s?v?re), qui avait fait 44 morts, en 2003, ? Toronto. Ils expliquent avoir, ? cette occasion, r?alis? que, face ? une maladie contagieuse et potentiellement mortelle, "seule une s?rie de valeurs morales partag?es" est de nature ? pr?server une coh?sion sociale.
Ils estiment aussi que les mesures "justes et ?quitables" devraient ?tre publiquement discut?es et clairement affich?es. A elle seule une question r?sume la somme des difficult?s ? venir: en cas de pand?mie, comment seront distribu?s et utilis?s les m?dicaments antiviraux stock?s ? grand prix dans une cinquantaine de pays occidentaux? ? qui seront prioritairement destin?es les millions de doses de Tamiflu et de Relenza achet?es aux multinationales pharmaceutiques Roche et ? GlaxoSmithKline? Aux personnes ayant d?j? contract? l'infection? Ou, ? titre pr?ventif, aux personnes dont l'activit? est essentielle ? la survie de la collectivit??
En France ? pays qui, selon l'OMS, s'est dot? de l'un des meilleurs programmes de lutte pr?ventive ?, les autorit?s sanitaires peinent ? r?pondre. Dans le dernier num?ro de La Revue du praticien, ces m?mes autorit?s incitent les professionnels de sant? ? s'?quiper, d?s maintenant, du mat?riel n?cessaire (masques pour eux et leurs patients, lunettes de protection) et pr?viennent que, en cas de pand?mie, ils seront "amen?s ? prendre en charge, pendant douze semaines, plusieurs millions de malades dans des conditions difficiles".
Les chercheurs de Toronto font, quant ? eux, valoir que les m?decins, les infirmi?res et les autres personnels soignants ne pourront se consacrer ? leur t?che que s'ils ont l'assurance de pouvoir, le moment venu, disposer des meilleures mesures de protection mais aussi de b?n?ficier d'un syst?me d'assurance-vie sp?cifique pour leurs familles. Si cette exigence ?thique n'?tait pas remplie, le bilan de l'?ventuelle catastrophe sanitaire n'en serait que plus effroyable.
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